Variables sociodémographiques et cliniques associées au handicap localisé à la main : une étude de cohorte dans le Réseau d’Intervention centré sur le Patient Sclérodermique (RIPS).

Titre original de l’article: The association of sociodemographic and disease variables with hand function: a Scleroderma Patient-centered Intervention Network (SPIN) cohort study

Auteurs:Kwakkenbos L, Sanchez TA, Turner KA, Mouthon L, Carrier ME, Hudson M, van den Ende CHM, Schouffoer AA, Welling JJKC, Sauvé M, Thombs BD; and the SPIN Investigators

Revue: Clinical and Experimental Rheumatology

Ref.: Clin Exp Rheumatol. 2018 Jul-Aug;36 Suppl 113(4):88-94. Epub 2018 Sep 29. PMID:30277865

Lien : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/30277865

Auteur de la veille bibliographique:Dr Christelle Nguyen, Hôpital Cochin, Paris

Background : Les trois premières causes de mortalité au cours de la sclérodermie systémique (SSc) sont la pneumopathie interstitielle diffuse (PID), l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) et les atteintes cardiaques associées à la sclérodermie. Ces dernières pourraient représenter près d’un quart des décès associés à la maladie. La dysfonction diastolique (DD) du ventricule gauche a bénéficié d’une nouvelle définition échographique en 2016. La DD est considérée comme prédictive de la survenue d’une insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée. Néanmoins, la prévalence de la DD selon sa nouvelle définition échographique, son incidence au cours du suivi et son impact sur la mortalité sont, à ce jour, inconnus au cours de la SSc. Ce travail longitudinal vise donc à éclaircir ces questions

Contexte : Chez les patients ayant une sclérodermie systémique (ScS), le handicap localisé à la main représente 75% de la variance du handicap global et participe à l’altération de la qualité de vie. Les variables sociodémographiques et cliniques associées au handicap localisé à la main n’ont été que peu étudiées en analyse multivariée. L’objectif principal de l’étude menée par Kwakkenbos et collègues a été de déterminer les variables sociodémographiques et cliniques associées au handicap localisé à la main chez les patients ayant une ScS.

Méthodes : Les auteurs ont conduit une étude transversale. Les participants ont été recrutés dans le Réseau d’Intervention centré sur le Patient Sclérodermique (RIPS) de Mars 2014 à Septembre 2017. Le RIPS est une cohorte internationale en ligne (France, États-Unis, Canada, Espagne) de patients ayant une ScS répondant aux critères ACR/EULAR 2013, âgés de plus de 18 ans, maîtrisant le Français, l’Anglais ou l’Espagnol et ayant un accès à Internet. Les variables sociodémographiques et cliniques ont été collectées par un investigateur à l’inclusion selon une grille de recueil standardisée. Le handicap localisé à la main a été évalué au moyen du questionnaire auto-administré Cochin Hand Function Scale (CHFS). Le score CHFS comporte 18 items relatifs aux activités de la vie quotidienne qui nécessite l’utilisation des mains. Chaque item est coté de 0, sans difficulté à 5, difficulté maximale. Le score CHFS total va de 0, pas de handicap localisé à la main à 90, handicap localisé à la main maximal. Les scores CHFS ont été comparés entre les variables sociodémographiques et cliniques en utilisant une régression linéaire univariée. Une régression linéaire multiple a été utilisée pour évaluer les associations indépendantes des variables sociodémographiques (sexe, âge, état matrimonial, éducation, tabagisme, consommation d’alcool et IMC) et des variables cliniques avec le handicap localisé à de la main. Les variables incluses dans le modèle ont été définies a priori et ont comporté la durée de la maladie, le sous-type de la maladie, la sévérité auto-rapportée des ulcères digitaux et du phénomène de Raynaud, la présence de doigts boudinés, d’une sclérodactylie, d’un épaississement cutané proximal jusqu’aux métacarpo-phalangiennes, de frictions tendineuses, de contracture des petites articulations, d’un lupus érythémateux disséminé, d’un syndrome de Sjögren ou d’une myosite inflammatoire idiopathique.

Résultats : Au total, 1193 participants ont été inclus dans l’analyse. Il y avait 146/1193 (12%)  hommes et 1047/1193 (88%) femmes. L’âge moyen des patients était de 55,1 (12,3) ans. 475/1193 (40%) patients avaient une forme cutanée diffuse, 1171/1193 (99%) un phénomène de Raynaud, 400/1193 (34%) des ulcères digitaux, 697/1193 (58%) des doigts boudinés et 975/1193 (82%) une sclérodactylie. Le temps moyen depuis le 1er symptôme, autre que le phénomène de Raynaud, était de 11,2 (8,7) ans et le temps moyen depuis le diagnostic était de 9,4 (7,7) ans. Le score CHFS moyen était de 13,3 (16,1)/90. En analyse multivariée, les variables socio-démographiques et cliniques associées au handicap localisé à la main étaient le sexe féminin (β =0,05, p=0,035), le tabagisme actif (β =0,07, p=0,004), l’IMC plus élevé (β=0,06, p=0,012), la forme cutanée diffuse (β=0,14, p <0,001), le phénomène de Raynaud sévère (β=0,23, p<0,001), les ulcères digitaux sévères (β=0,23, p <0,001), la contracture modérée (β=0,19, p<0,001) ou sévère (β=0,20, p<0,001) des petites articulations, une polyarthrite rhumatoïde (β=0,07, p=0,004) ou une myosite inflammatoire idiopathique (β=0,06, p=0,020) associées. La consommation de 1 à 7 boissons alcoolisées par semaine (β =-0,07, p=0,004) était associée à un handicap localisé à la main plus faible par rapport à l’absence de consommation d’alcool.

Limites :Les patients de la cohorte RIPS constituent un échantillon de convenance, recrutés dans des centres de référence, et peuvent ne pas être représentatifs de l’ensemble de la population sclérodermique. De plus, les patients remplissent des questionnaires en ligne, ce qui peut limiter davantage la généralisabilité des résultats. Cependant, une récente comparaison entre les participants à la cohorte RIPS et les cohortes du groupe européen EUSTAR et du Groupe de recherche sur la sclérodermie au Canada a montré que la cohorte RIPS était comparable à celle de ces cohortes. Une autre limite concerne la nature des variables incluses : la majorité des variables incluses dans les modèles ne reflétaient pas la gravité de la maladie. En outre, d’autres variables auraient pu être d’intérêt (par exemple le statut socio-économique ou l’accès aux soins de santé) mais les données pour ces variables n’étaient pas disponibles ou n’ont pas été sélectionnées pour être incluses dans les modèles testés. Aucune information n’était disponible sur les médicaments administrés aux patients de la cohorte. Enfin, bien que les variables incluses dans le modèle aient été définies a priori, l’étude présentée reste de nature exploratoire, en raison de la rareté des études antérieures sur le sujet.

Conclusion : Cette étude, menée dans un large échantillon de patients sclérodermiques, montre que plusieurs variables socio-démographiques et cliniques peuvent contribuer au handicap localisé à la main. Les contractures articulaires, le phénomène de Raynaud sévère et les ulcères digitaux sont les variables les plus associées au handicap localisé à la main.

Perspective : Proposer des traitements non pharmacologiques et pharmacologiques ciblant spécifiquement ces symptômes semble pertinent pour réduire et/ou prévenir le handicap localisé à la main chez les patients ayant une sclérodermie systémique.

Méthodes : :Il s’agit d’une étude longitudinale incluant 333 patients atteints de SSc définie selon les critères ACR/EULAR 2013 ou 1980 de la maladie et inscrits dans la cohorte de patients sclérodermiques du CHU d’Oslo (période d’inclusion 2003-2016). Pour chaque patient, la plus ancienne échographie retrouvée dans le registre était considérée comme l’échographie initiale. Les caractéristiques cliniques de la maladie étaient évaluées de manière simultanée, précisant en particulier l’existence d’une PID de sclérodermie ou d’une hypertension pulmonaire pré-capillaire (HTAP) par cathétérisme cardiaque droit. La plus récente échographie retrouvée dans le registre était considérée comme l’échographie de suivi. Toutes les images échographiques ont été relues de manière rétrospective par un même évaluateur et la recherche d’une DD a été réalisée sur les images disponibles de chaque échographie selon la nouvelle définition de 2016. La mortalité toute cause pour l’ensemble des patients était évaluée en avril 2017. Un groupe témoins de 65 patients, d’âge, de sexe, de statut HTA et de BMI comparables à ceux des patients sclérodermiques au moment de l’échographie initiale, étaient également inclus.

Résultats: Sur les 333 patients évalués, 275 présentaient des images de l’échographie initiale permettant l’évaluation rétrospective de la présence ou de l’absence d’une DD. Une DD était présente avec certitude chez 46 patients (17%), était absente avec certitude chez 195 patients (71%). Il n’était pas possible de statuer chez 34 patients (12%). Dans le groupe contrôle, seuls 4 individus (6%) présentaient une DD. Les patients présentant une DD était plus âgés (p<0,01) que ceux n’en présentant pas. Sur l’échographie de suivi, 29% des patients présentait une DD (délai médian entre les deux échographies 3,4 ans (écart interquartile : 1,6-6,2). La durée médiane de suivi sur la survie était de 4,9 ans (écart interquartile : 2,1-7,2). La survie à 5 ans était de 76% et à 10 ans de 54%. Le taux de mortalité des patients présentant une DD à l’échographie initiale était significativement plus élevé à la fin de l’étude que celui des patients sans DD (57% vs 13% ; p<0,001). Sur les 43 patients qui présentaient une hypertension pulmonaire sur l’échographie initiale, 26 (60%) d’entre eux étaient décédés à la fin de l’étude. En analyse multivariée, après ajustement sur les facteurs de confusion potentiels (DLCO, âge, sexe, score de Rodnan, TAPSE, NT-ProBNP), la DD restait un facteur indépendant prédictif de la mortalité (HR=3.71 IC95%[1.69-8.14]) avec un HR plus grand que celui de l’hypertension pulmonaire après ajustement sur des co-facteurs similaires (HR=2.0 ; IC95% [1.1-3.9]).

Discussion : Ce travail confirme, comme les articles précédents sur le sujet, la faisabilité de la greffe autologue de tissu adipeux chez les patients ayant une ScS, à partir du moment où ils sont bien sélectionnés (quantité suffisante de graisse à prélever, handicap du visage nécessitant une thérapie, absence d’autres causes en dehors de la ScS à l’atteinte du visage, éviter les patients sous forte dose d’immunosuppresseur). Les auteurs montrent une amélioration fonctionnelle (ouverture buccale), trophique (sclérose cutanée) et esthétique (amélioration des plis péribuccaux). Trois patientes étaient cependant insatisfaites car l’amélioration esthétique avait disparu à 3 mois par résorption du tissu adipeux.

Conclusion: Dans cette étude, la DD est retrouvée élevée au cours de la SSc et est associée à une mortalité accrue. Dans ce travail, la DD semblait constituer un marqueur prédictif de mortalité plus robuste que l’hypertension pulmonaire. Cette étude se base sur la mortalité toute cause confondue au cours de la SSc et les liens de causalité entre le décès et la DD ne peuvent donc pas être attestés. Ceci est d’autant plus vrai que la place de la PID dans la survenue du décès n’a pas été précisée ici. Le caractère rétrospectif de la lecture des données échographiques constitue également une limite du travail. Néanmoins, cette étude portant sur un échantillon relativement important de patients sclérodermiques met en lumière une complication cardiaque fréquente au cours de la SSc. La prise en charge thérapeutique optimale de cette atteinte reste à préciser.

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