Titre original de l’article: Phenotypes determined by cluster analysis and their survival in the prospective EUSTAR cohort of patients with systemic sclerosis. Sobanski V, Giovannelli J, Allanore Y, Riemekasten G, Airò P, Vettori S, et al 1,2 — Disponible sur: https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/art.40906 (PubMed)
Résumé présenté par : Dr Alain LESCOAT, Médecine Interne, CHU Rennes.
Résumé fait par la filière FAI2R
Introduction : La sclérodermie systémique est une maladie hétérogène associée à une multitude de présentations cliniques différentes avec un pronostic très variable. Si la classification de la maladie a été mise à jour il y a peu (initiative ACR/EULAR 2013), la définition de sous-groupes homogènes de patients au sein de cette récente classification se base encore sur l’ancienne approche de LeRoy définie en 1988 et qui subdivise la maladie en deux grandes sous-entités, que sont l’atteinte cutanée limitée et l’atteinte cutanée diffuse, basées sur l’extension de la fibrose cutanée. Néanmoins, si cette vision dichotomique de la maladie semblait à l’époque pertinente en termes de survie, mettant en avant le pronostic sombre associé à la forme cutanée diffuse, des données récentes viennent la remettre en cause, en s’appuyant notamment sur l’existence de formes cutanées limitées avec atteintes viscérales sévères. Les auteurs de ce travail proposent donc de réaliser une étude phénotypique des patients sclérodermiques en utilisant une méthode de regroupement sans a priori sur une vaste population afin de mettre en évidence des nouveaux sous-groupes (ou clusters) homogènes de patients ne se basant pas sur l’extension de la fibrose cutanée mais intégrant à la fois des données cliniques, immunologiques et d’atteintes viscérales.
Méthodes : Il s’agit d’une étude basée sur la cohorte prospective EUSTAR, incluant 6927 patients sclérodermiques. 24 variables ont été utilisées, incluant des données cliniques, des données biologiques (dont la positivité des anticorps anti-centromères et des anti-topoisomérase de type 1) et des données d’évaluations fonctionnelles ou d’imagerie. Une subdivision par clusters homogènes des patients était réalisée en utilisant la technique de regroupement hiérarchique ascendant. Plusieurs stratégies de regroupement ont été réalisées. La survie selon les groupes a ensuite été évaluée et comparée par une méthode de Cox avec ajustement sur les principaux facteurs confondants (âge, sexe et traitements immunosuppresseurs).
Résultats : Une première stratégie de regroupement aboutit à la constitution de deux groupes homogènes (Cluster A et B). Le premier (Cluster A) inclut une grande majorité de formes limitées (81%) avec peu d’atteintes viscérales et une positivité des anti-centromères dans 54% des cas. Le deuxième, (Cluster B) se caractérise par un plus jeune âge, plus de formes diffuses (61%) et 54% d’anti-topoisomérase de type 1. En termes de survie, une mortalité plus grande dans le Cluster B est constatée par rapport au Cluster A [HR=2,47 (1,86-3,27)].
Une deuxième stratégie de regroupement aboutit à la constitution de 6 groupes de sévérité croissante. Le premier groupe (C1) est caractérisé par une plus grande proportion de femmes, une grande majorité de formes limitées (89%) et d’anti-centromères (79%), à l’inverse, le groupe le plus sévère (C6) se caractérise par une proportion moindre de femmes (79%), et une nette prédominance de forme diffuses (92%) et d’anti-topoisomérase de type 1 (77%). Parmi les groupes de sévérité intermédiaire, le groupe C2 se caractérise par un phénotype particulier de patients associant une majorité de formes limitées (71%), mais avec plus d’atteinte interstitielle pulmonaire (85%) et une positivité plus fréquente des anti-topoisomérases (35%) par rapport aux anti-centromères (24%). Le groupe qui incluait le plus grand nombre de patients était le groupe C4, lui aussi caractérisé par une plus grande proportion de formes limitées (63%) mais avec des atteintes viscérales sévères et une proportion plus grande d’anti-topoisomérase. Le groupe C3 incluait une majorité de formes limitées avec peu d’atteintes viscérales et le C5 une majorité de formes diffuses mais avec une maladie moins agressive que dans le groupe C6. L’écart de survie le plus grand était celui séparant les groupes C1 et C6 [HR ajusté= 6,14 (3,81-9,89)]. Cet écart de survie dépassait nettement celui séparant les formes diffuses et les formes limitées évaluées sur l’ensemble de la population [HR=2,03 (1,61-2,56)].
Goupe (n) |
C1 (n=1186) |
C2 (n=720) |
C3 (n=1243) |
C4 (n=1673) |
C5 (n=1249) |
C6 (n=856) |
Caractéristiques |
– plus grand % de femmes -début plus tardif -atteintes digestives fréquentes -PID plus rares |
-PID fréquentes -suspicion d’HTP plus fréquente -peu d’atteintes musculo-squelettiques |
-début plus précoce -Rodnan moins élevé -Meilleures valeurs de DLCO |
-Ulcères digitaux fréquents -atteintes cardiaques prévalentes |
-début précoce -atteintes multiples mais modérément fréquentes |
-début le plus précoce -maladie la plus agressive -proportion plus grande d’atteintes articulaires et de crises rénales |
Conclusion : Cette étude menée sur une vaste population de patients sclérodermiques confirme les limites de la classification actuelle de la maladie basée sur la simple extension cutanée. En affinant la stratégie de regroupement par l’inclusion simultanée de données cliniques, biologiques et d’imagerie, ce travail met en exergue l’existence de groupes à la sévérité très diverse. L’existence de données manquantes sur certains paramètres et l’inclusion d’une très nette majorité de patients caucasiens ne permet pas encore de généraliser directement les résultats de cette étude de regroupement pour redéfinir la classification actuelle de la maladie. Néanmoins, ce travail met en lumière de nouveaux sous-groupes de la maladie jusqu’alors peu considérés (formes limitées avec anti-topoisomérase de type 1 et atteinte pulmonaire), témoignant de l’importance de considérer chaque paramètre au-delà de la simple extension cutanée.