Par le Pr Brigitte Granel et le Dr Bernard Imbert. Maj du 11/04/2023
Pourquoi la main est-elle touchée dans cette maladie ? La Sclérodermie est une maladie touchant les vaisseaux de petit calibre et qui conduit à une fibrose exagérée et dérégulée de la peau. L’atteinte de la main au cours de la Sclérodermie est de mécanisme souvent multifactoriel avec des phénomènes vasculaires (syndrome de Raynaud, ulcère ischémique), cutanés (fibrose) et sous-cutanés (calcinose), tendineux et articulaires. Elle est source de gêne au quotidien et s’accompagne fréquemment de phénomènes douloureux
Le patient et les médecins doivent porter une grande attention à l’état des mains car même si cette atteinte ne met pas en jeu le pronostic vital, elle est une importante source de handicap et a un retentissement psycho-social important. Il faut aborder avec le patient le retentissement de l’atteinte de la main sur la vie quotidienne, la gestion de la douleur, le retentissement social et professionnel et sur l’ensemble de sa qualité de vie.
Quels sont les signes ?
– Le phénomène de Raynaud est une constante au cours de la Sclérodermie (99% des cas). C’est un spasme des petits vaisseaux avec arrêt transitoire de la circulation sanguine des extrémités qui affecte les doigts, assez souvent les orteils, plus rarement le nez ou les oreilles et qui évolue par crises. Les crises sont essentiellement déclenchées par le froid (ou les variations thermiques), l’humidité ou les émotions. Le phénomène de Raynaud est souvent inaugural et peut précéder de nombreuses années le diagnostic de la maladie.
La crise évolue en 3 phases qui ne sont cependant pas toujours présentes : une phase blanche qui est la plus constante puis les doigts sont bleus et ensuite au moment où ils se réchauffent ils deviennent rouges. Cette dernière phase est douloureuse.
La durée d’une crise est variable, en général de moins de 30 minutes.
– Concernant la peau, au début les doigts peuvent apparaitre gonflés et boudinés. Puis du fait de la fibrose, la peau s’épaissit et devient moins souple, on parle alors de sclérodactylie.
Dans certains cas, les doigts deviennent effilés avec une peau tendue, fine, fragile et atrophique.
La mobilité des doigts diminue. A l’extrême, les doigts peuvent rester bloqués en flexion, sans qu’on ne puisse plus les étendre.
Ces aspects ne sont cependant pas constants avec des cas où la gêne est modérée et des cas plus sévères dans lesquels l’atteinte fibrosante est importante avec un défaut d’extension et de fermeture des doigts
Dans certains cas, des ulcérations douloureuses apparaissent au bout des doigts du fait de l’absence de circulation sanguine dans les petits vaisseaux, qui peuvent dans les cas les plus sévères prendre l’aspect d’une nécrose de l’extrémité du doigt. La cicatrisation des ulcères est longue, entre 1 et 3 mois en moyenne.
– Des calcifications sous-cutanées peuvent aussi être observées, en particulier sur la face palmaire des doigts (10 à 30 % des cas). Elles sont plus fréquentes au niveau de la pulpe de la dernière phalange des doigts. Elles sont fréquemment décelables à l’œil nu, sous la forme de déformations ou de nodules blanchâtres apparaissant immédiatement sous la peau, qui peuvent devenir inflammatoires ou douloureux, pouvant nécessiter un geste chirurgical. Une extrusion spontanée de calcinose peut se produire à travers la peau sous la forme d’une pâte blanche, ou de petits «cailloux». Une ulcération en regard des lésions de calcinose peut survenir et se surinfecter.
Ces calcinoses sont facilement mises en évidence par la radiographie des mains, qui peut montrer également des anomalies osseuses au niveau des dernières phalanges.
– Les autres éléments cutanés au niveau de la main sont
- la présence de télangiectasies qui sont des petites taches rouges dues à la dilatation des petits vaisseaux. Elles sont fréquentes mais n’entrainent pas de gêne fonctionnelle.
- Des lésions de dépigmentation, qui peuvent survenir particulièrement chez les patients à peau noire
– La main peut être la source de douleurs articulaires (arthralgies) d’origine inflammatoire ou en lien avec la raideur des doigts, des mains et des poignets. Une atteinte inflammatoire de la membrane synoviale (membrane autour de l’articulation) est possible, appelée synovite. Une inflammation des tendons des doigts et/ou des poignets est fréquente, contribuant à une gêne fonctionnelle, pouvant donner une sensation de « crissement tendineux , surtout dans les formes debutantes évolutives de la maladie. À un stade plus tardif, une fibrose des tendons et de leurs gaines peut, associée à l’atteinte cutanée, conduire à la survenue de contractures en flexion des doigts.
Que faire ?
Les mains et les doigts sont à placer sous haute surveillance. Il faut limiter l’apparition du phénomène de Raynaud par la protection vis-à-vis des variations thermiques et du froid (port de gants chauds, chaufferettes et/ou gants chauffants,…). Il convient également de lutter contre la sécheresse cutanée (crèmes) et de se protéger des traumatismes tels que blessures, coupures, piqûres ou autres, qui auront du mal à cicatriser.
Il est important de lutter contre l’enraidissement à l’aide des différentes techniques de rééducation.
Seule une prise en charge globale multidisciplinaire peut permettre d’améliorer la fonction de la main en prenant en compte les atteintes cutanée et vasculaire, tendineuse et articulaire de la main, incluant la rééducation fonctionnelle et l’ergothérapie.
Les techniques de kinésithérapie associant rééducation, port d’attelles la nuit, mobilisation tissulaire et drainage lymphatique manuel, permettent de lutter contre la raideur et la douleur et de préserver la fonctionnalité de la main. L’ergothérapeute aide à adapter les objets de la vie quotidienne en fonction du handicap.
La coopération et le rôle actif du patient lui-même, qui peut être aidé pour mettre en place une auto-kinésithérapie au quotidien et adapter son environnement, sont indispensables pour une prise en charge optimale.
Un dossier peut être déposé auprès de la MDPH (maison départementale du handicap) pour trouver des aides et solutions adaptées aux besoins.
Des médicaments vasodilatateurs pris par voie orale permettent une meilleure circulation sanguine au niveau des doigts. A l’extrême, en cas d’ulcère qui ne guérit pas malgré les mesures locales et les traitements vasodilatateurs oraux, une perfusion d’Iloprost peut améliorer la circulation et la cicatrisation. La perfusion doit être réalisée sur plusieurs jours et doit être faite en milieu hospitalier mais le bénéfice peut se maintenir plusieurs mois.