Une hypothese concernant la predominance feminine de la sclerodermie systemique

Invernizzi P, Miozzo M, Selmi C, Persani L, Battezzati PM, Zuin M, et al
X chromosome monosomy : a common mechanism for autoimmune diseases
The Journal of Immunology 2005 ; 175 : 575-8.
(Abstract)

B. Granel ,

L’explication de la prédominance féminine des maladies autoimmunes, comme la sclérodermie systémique (SSc) (sexe ratio de 12F/1H) et les thyroïdopathies autoimmunes (TAI) (sexe ratio de 10F/1H), n’est pas connue. Elle fait appel au rôle encore peu connu des hormones sexuelles sur le système immunitaire. En dehors des facteurs hormonaux, le terrain génétique influence aussi le développement des maladies autoimmunes. Ceci est démontré par les formes familiales de maladies autoimmunes, la fréquence accrue d’autoanticorps chez les apparentés et la concordance entre jumelles monozygotes. Le chromosome X comporte un grand nombre de gènes impliqués dans la détermination du niveau d’hormones sexuelles et dans le maintien de la tolérance immune. Ainsi certains gènes portés par le chromosome X pourraient favoriser l’autoimmunité, comme en témoigne la fréquence élevée des maladies autoimmunes du syndrome de Turner (XO).

Les auteurs de cet article ont analysé la fréquence de la monozomie X dans les leucocytes de femmes atteintes de SSc (n=44, âge moyen 58 ans), de TAI (n=44, âge moyen 48 ans) et de femmes saines (n=73, âge moyen 50 ans). L’analyse de la monosomie X était pratiquée sur les leucocytes grâce à un marquage en FISH (fluorescence in situ hybridization). Pour chaque sujet, environ 500 noyaux étaient analysés et le taux de monosomie X était exprimé en ratio du nombre de noyaux monosomiques/nombre total de noyaux étudiés multiplié par 100. Le taux de monosomie X augmentait avec l’âge (de façon similaire dans les 3 groupes) et ceci a nécessité de tenir compte de l’âge dans la comparaison des ratios. Le taux de monosomie était significativement plus élevé dans les leucocytes de SSc (6,2 +/- 0,3%) et de TAI (4,3 +/-0,3%) que chez les femmes témoins (2,9 +/- 0,2%, p< 0,0001). Aucune différence significative n’a été observée entre les sous groupes de SSc (forme cutanée limitée et diffuse) et de TAI (Basedow ou Hashimoto). L’analyse des sous populations leucocytaires a montré que la monosomie X était plus fréquente dans les cellules immunitaires (lymphocytes T et B), que dans les monocytes/macrophages, polynucléaires ou cellules NK. Enfin, les cellules ayant une monosomie X ne portaient pas le chromosome Y et ne pouvaient donc pas être chimériques (étude de 11 femmes ayant un enfant de sexe masculin). Les auteurs de cet article avaient précédemment rapporté une fréquence élevée de monosomie X dans la cirrhose biliaire primitive. Leur hypothèse est qu’un défaut du chromosome X serait un trait commun aux maladies autoimmunes. Ce défaut provoquerait une fréquence accrue de phénomènes autoimmuns et expliquerait la prédominance féminine de ces maladies. Cela ne serait donc pas spécifique à la SSc. Ce défaut du chromosome X serait responsable d’un déséquilibre entre gènes protecteurs et gènes prédisposant à l’autoimmunuté. Par exemple, ce défaut pourrait induirait une perte de la tolérance au soi ou une accélération des phénomènes autoimmuns. La liste des gènes codés par le chromosome X est longue et contient des gènes impliqués dans le développement du système immunitaire (cf fréquences des syndromes d’immunodéficiences liés à l’X) et dans la régulation de l’apoptose. Des loci de susceptibilité situés en Xp11 et Xq21 ont été associés à la maladie de Basedow. Des hypothèses concernant l’apparition de la monosomie X sont proposées : altération de la fonction des centromères, accélération du processus de vieillissement avec accumulation d’erreurs au niveau des mitoses, effet de facteurs toxiques environnementaux ou de facteurs constitutionnels génétiques. Enfin, la monosomie X empêche l’inactivation de l’X (processus qui rend silencieux un des deux chromosomes X chez la femme, pour compenser le double dosage de gènes liés à l’X, en comparaison à l’homme). Un déséquilibre de cette inactivation pourrait rendre compte de l’apparition de phénomènes autoimmuns.

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